(Entretien avec Marie-Françoise Audrerie, tout au long de la rue du Bassin.)
par Patrick Chouissa
Patrick Chouissa est l'un des co-auteurs de l'ouvrage Vésone-Mémoire d'un quartier de Périgueux (1936-2015) réalisé sous la conduite d'Anne-Sylvie Moretti. Il a par ailleurs publié plusieurs recueils de nouvelles et de poèmes dont le dernier Mémoire Méduse Requiem vient tout juste de paraître aux éditions Gros Textes. Le texte ci-dessous nous livre de manière très libre quelques réflexions inspirées d'un entretien mené avec Catherine Carrier auprès de Marie-Françoise Audrerie qui a passé une partie de son enfance rue du Bassin.
Elle le déclare avec une certaine véhémence, la topographie de l'espace, de son espace immédiat dans les années 50, celles de sa première enfance, ne tremble pas dans son souvenir. Son quartier était une « entité » alors que maintenant c'est « un lieu de passage » et son quartier c'était le Bassin, la rue du Bassin et celle du Port, l'Usine à gaz, Carnaud, les Tabacs ; il se définit alors autant par ces entreprises qui l'animait, que par les rues qui le dessinent et ne sont pas encore encombrées de voitures. Ce qui le particularisait pour Marie-Françoise Audrerie, c'est d'abord une certaine qualité du bâti, plus modeste que celui de Vésone et une population à l'avenant, ouvrière en définitive.
Et au-delà de ces critères qu'elle juge objectifs, il y a un constat simple, concret, immédiat et qui désarme toute contestation : « On n'avait pas de copains là-bas, aucun enfant de Vésone ne venait jouer avec nous … nous étions autres, d'autres enfants avec d'autres règles, d'autres codes. »
La notation pour impressionniste qu'elle soit ne contredirait pas celles du grand urbaniste Paul Virilio quand il analyse les évolutions de la géographie urbaine avec celles des transports et de la mobilité et qu'il écrit : « la ville est le lieu des trajets (…). C'est le lieu de la proximité entre les hommes, de l'organisation du contact ». Car en fin de compte c'est une socialité singulière qui s'exprime avec le ou les territoires que nous reconnaissons comme nôtre(s).
Alors les quartiers d'hier ne sont peut-être pas les quartiers d'aujourd'hui. Mais que sont les quartiers d'aujourd'hui ! Qu'est-ce qui remplace ces causeries sur le seuil des maisons quand « on se mettait dans la rue sur des chaises, comme au cinéma » mais pour parler, ces bandes d'enfants que j'imagine comme des passereaux qui se déplacent, se posent jouent à la balle, s'envolent, sautent à la corde un peu plus loin, puis se rassemblent devant le transformateur dans l'enceinte des Tabacs pour des conciliabules piqués d'éclats de rires ou de disputes !
C'est une question actuelle que le lien, le vivre-ensemble comme on dit ces temps-ci, quand par ailleurs on est détourné de l'immédiat de la rencontre par les écrans, l'emprise de la vitesse et du virtuel, de la consommation et des images. Sommes-nous condamnés à seulement nous croiser!
N'idéalisons pas pour autant le passé, le progrès ne peut se juger si abruptement ; l'enfermement dans le quartier d'autrefois rejette l'ailleurs, ses gitans, ses voyous, d'autres quartiers comme les rues Neuves pour aller au plus connu. Mais aujourd'hui c'est un autre enfermement qui nous guette quand le monde est devenu si petit et parfois si uniforme qu'il récuse l'idée même d'un ailleurs. De toutes façons, il nous appartient d'imaginer de nouvelles manières de rencontre, il appartient en propre à la jeunesse de refaire avec cette « donne » un monde habitable, un quartier habitable celui de Vésone ou celui de Vésone-Le Bassin.
Patrick Chouissa
Entretien réalisé par Catherine CARRIER et Patrick CHOUISSA le 21 novembre 2015.